Le Cannabis et le Louage - Considérations pratiques

Avec l’entrée en vigueur imminente du Projet de loi C-45 concernant le cannabis[1] (la « Loi Fédérale »), l’anxiété de certains locateurs et gestionnaires immobiliers se fait de plus en plus palpable.

À juste titre, bon nombre d’entre eux se questionnent sur les meilleures pratiques à adopter face à cette évolution sociale mais également sur les armes (législatives ou contractuelles) dont ils disposent afin de prévenir certaines problématiques qui leur étaient jusqu’ici inconnues.

Si vous êtes l’un d’eux, nous vous invitons à prendre une grande inspiration (d’air frais) et à revisiter certains principes légaux qui présentent, selon nous, des pistes de solution intéressante.                               

D’abord, il nous apparait important de rappeler qu’indépendamment de l’adoption de la Loi Fédérale, le locataire, qu’il soit résidentiel ou commercial, aura toujours une obligation d’user du bien loué avec prudence et diligence (article 1855 du Code civil du Québec) et de se conduire de manière à ne pas troubler la jouissance normale des autres locataires (article 1860 du Code civil du Québec), à défaut de quoi le locateur pourra demander la résiliation du bail.

Qui plus est, le locataire devra toujours agir afin de ne pas imposer ou faire subir à ses voisins des inconvénients anormaux ou qui excèderaient les limites de la tolérance, suivant les usages locaux (976 du Code civil du Québec).

Ces deux principes constituent, à notre avis, l’assise légale qui permettra de régir les relations entre locataires et locateurs en matière de vente, de consommation et de production de cannabis.

En effet, ce n’est pas parce qu’une substance devient légale qu’on peut automatiquement en faire usage sans limite et sans égard à la jouissance paisible d’autrui, bien au contraire.

L’interdiction en matière résidentielle
En ce qui a trait au droit des locataires résidentiels de fumer du cannabis dans leur logement, on peut penser que l’inclusion d’une interdiction à cet égard dans les règlements de l’immeuble sera considérée légale, tout comme l’est l’interdiction de consommer du tabac[2]. Les locateurs qui désirent à l’avenir règlementer cet élément devraient donc le préciser dans leurs baux.

Mais qu’en est-il pour les baux déjà en vigueur? Un règlement pourrait-il interdire au locataire, en cours de bail, de fumer du cannabis dans son logement dans le futur ?

Dans le cas où le bail interdit déjà au locataire de fumer, on peut penser que cette restriction s’étendra à la consommation de cannabis.

Dans le cas où le bail est déjà en vigueur et que le locateur a soit (1) omis de traiter de la question ou (2) permis à son locataire de fumer dans le logement, il u a lieu selon nous de croire qu’il pourra modifier son règlement d’immeuble pour restreindre cette autorisation strictement au tabac, et exclure la consommation de cannabis.

En effet, l’entrée en vigueur de la Loi fédérale nous apparait un changement législatif suffisamment important pour permettre au locateur de préciser son règlement en cours de bail, considérant que le cannabis constituait une substance illicite lors de sa conclusion.

Telle modification devra cependant être faite de façon conforme aux dispositions de l’article 1942 du Code civil du Québec, soit en transmettant à son locataire un avis écrit selon certains délais. Nous ne saurions cependant trop insister sur l’importance pour le locateur qui désirerait s’en prévaloir, de transmettre cet avis rapidement afin d’éviter que le locataire ne lui oppose que le locateur y a renoncé en tolérant cette situation trop longtemps.

D’ailleurs, la Régie du logement, dans une décision très récente[3] a confirmé la possibilité d’interdire la consommation de cannabis dans un immeuble résidentiel à un locataire qui en faisait une utilisation exagérée et ce, malgré que ce dernier bénéficiait d’une prescription médicale.

En se basant sur les articles susmentionnés (976 et 1860 du Code civil du Québec), le Régisseur a conclu que le locateur subissait un trouble de jouissance important résultant des fortes odeurs qui émanaient du logement de son locataire.

Considérant la position claire et avouée du locataire à l’effet qu’il n’avait pas l’intention de diminuer sa consommation, la Régie a finalement ordonné la résiliation du bail.

L’interdiction en matière commerciale
D’abord, il importe de rappeler que selon le Projet de loi no 157 du gouvernement provincial[4] (la « Loi Provinciale »), les points de vente au Québec seront rigoureusement règlementés (du moins, c’est ce que nous anticipons).

Les locateurs n’ont donc pas, pour l’instant, d’inquiétude majeure à avoir sur les risques que leurs locataires commerciaux se mettent à vendre des produits dérivés du cannabis pour élargir leur marché.

Une autre problématique anticipée sera cependant la cohabitation entre les divers locataires dans un même immeuble, advenant l’ouverture d’un point de vente de la Société québécoise du Cannabis.

Autrement dit, est-ce qu’un locataire de prestige (par exemple, un détaillant de produits luxueux) pourrait se plaindre que son image est atteinte en raison de l’ouverture de ce type de succursale dans le local d’à côté? Pourrait-il alors demander des dommages ou encore, la résiliation de son bail?                                                           

Une situation similaire s’est posée il y a quelques années dans l’affaire Hypertech Systems inc. c. Antoine Morin et Associés inc. 

Dans cette cause, Hypertech demandait la résiliation de son bail commercial puisque le locateur avait permis l’ouverture dans le local voisin d’un club vidéo à tendance pornographique et d’une salle de visionnement où les clients peuvent être accompagnés d’« hôtesses ».

Le locataire basait essentiellement son argumentation sur le principe que de permettre cette exploitation changeait la destination de l’immeuble, au sens de l’article 1856 du Code civil du Québec.

Le tribunal en viendra à la conclusion qu’en l’absence de preuve ‘un dommage réel, le locataire n’a pas d’intérêt légitime suffisant pour obtenir la résiliation de son bail. Ce n’est donc, encore une fois, qu’en satisfaisant à la théorie du trouble de jouissance paisible que le locataire aura une tel recours.

La législation anticipée
Finalement, nous considérons important de rappeler que certaines dispositions de la Loi concernant la lutte contre le tabagisme (notamment ses articles 1, 2, 2.1 et 2.2) prévoient spécifiquement l’interdiction de consommation de produits du tabac ou de dérivé de celui-ci dans de nombreux endroits.

Nous anticipons donc qu’au minimum, préalablement à l’entrée en vigueur de la Loi, le gouvernement provincial modifiera ces dispositions législatives pour y inclure les produits contenant du cannabis et destinés à être inhalés ou adoptera une loi analogue.

Dans un tel contexte, nous présumons que les locateurs d’édifices publics pourront imposer, en conformité avec ces éventuelles nouvelles dispositions législatives, les endroits d’une telle consommation sur leur site, tout comme ils le faisaient en vertu de la Loi concernant la lutte contre le tabagisme.

Devant tant d’incertitude, il sera primordial pour tous les intervenant du milieu Immobilier de tenter de trouver des terrains d’entente de bonne foi. Advenant l’émergence d’un conflit, il importera pour chacun de déployer des efforts raisonnables pour trouver une solution. Dans le cas contraire, les parties auront la « chance » de soumettre des questions de droit nouveau aux tribunaux et de faire progresser le droit québécois, ce qui implique généralement de grand frais et une issue peu prévisible…

Comme on le disait si bien dans les années ’60 : « Paix et amour » (si possible).

René Gauthier et François Nantel
Cain Lamarre s.e.n.c.r.l.

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[1] Loi concernant le cannabis et modifiant la loi règlementant certaines drogues et autres substances, le Code criminel et d’autres lois

[2] Koretski c. Fowler, 2008 QCCQ 2534

[3]   Chassé  c.  Chartier, 2018, QCRDL 235

[4] Loi constituant la Société québécoise du cannabis, édictant la Loi encadrant le cannabis et modifiant diverses dispositions en matière de sécurité routière

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