Malgré que la pandémie puisse aujourd’hui sembler être chose du passé, les mesures gouvernementales mises en place continuent de faire couler beaucoup d’encre, notamment quant à l’application du principe juridique de force majeure.
Effectivement, bien que dès juillet 2020, la Cour supérieure ait établi plusieurs principes applicables par son jugement dans l’affaire Hengyun International c. 9368-7614 Québec inc.[1] (« Hengyun »), certaines précisions continuent à être apportées par les tribunaux.
La récente décision Immeubles Redbourne Southshore inc. c. Soutex inc.[2] (« Redbourne »), rendue par la Cour du Québec, en est un bon exemple.
Dans cette affaire, la question à trancher est la suivante : une firme de génie-conseil, locataire d’un espace de bureau, devrait-elle être tenue de verser un loyer au bailleur pour trois périodes, totalisant 340 jours, pendant laquelle elle a dû soit suspendre soit réduire ses activités en conformité avec les mesures sanitaires imposées par le gouvernement du Québec?
Autrement dit, le tribunal doit déterminer qui, du bailleur ou du locataire, devait subir les conséquences économiques de la crise pandémique.
Bien que cette question ait déjà été traitée dans Hengyun, rappelons que le jugement ne s’appliquait qu’à la période de prohibition totale d’exploitation imposée par l’urgence sanitaire (mars à juin 2020).
Dans Redbourne, le tribunal devait plutôt déterminer si ce raisonnement trouvait également application pour les périodes pendant lesquelles les mesures sanitaires étaient allégées, en ce qu’elles restreignaient l’utilisation des lieux loués à un seuil de 25 % de son occupation normale.
Or, la Cour du Québec parvient essentiellement à la même conclusion que la Cour supérieure dans Hengyun. Dans un cas comme dans l’autre, le tribunal retient que les mesures sanitaires empêchant l’accès aux immeubles commerciaux constituent un cas de force majeure, ce qui exempte le bailleur d’exécuter son obligation de procurer la jouissance paisible des lieux loués à son locataire. Or, si le bailleur est libéré de son obligation, il ne peut exiger l’exécution corrélative par le locataire, c’est-à-dire le paiement du loyer.
Par conséquent, dans Redbourne, le tribunal arrive à la conclusion que la locataire subissait une perte de jouissance des lieux loués à hauteur de 75 % pendant les périodes de restrictions allégées, et ce, compte tenu de l’impact général des contraintes sur ses activités.
Effectivement, après avoir analysé la nature des activités de la firme de génie-conseil et le contexte ayant mené à la conclusion du bail, le tribunal détermine que c’est afin de créer un lieu direct d’échange entre les professionnels et d’interaction avec les clients que la locataire a conclu le bail en mai 2018.
Or, le tribunal détermine que les restrictions, bien qu’allégées, limitaient tout de même de façon importante la possibilité pour la locataire d’utiliser les locaux à cette fin. De plus, le fait pour le bailleur d’assurer l’accès à l’immeuble dans un contexte où aucun locataire ne peut y pratiquer ses activités ou rendre ses services sans contrevenir aux mesures sanitaires en place, et ainsi s’exposer à des sanctions pénales, n’équivaut pas à procurer la jouissance des lieux.
En fait, le tribunal reproche même au bailleur d’avoir tenté de soulever cet argument qualifié par le magistrat de sophisme.
Nous retenons donc de l’affaire Redbourne que les périodes de restrictions allégées des dernières années donnent lieu à un exercice de pondération du niveau de jouissance du locataire dans les lieux loués. Pour le déterminer, le tribunal analysera les besoins du locataire par rapport aux lieux loués selon la nature des services qu’il rend, le contexte dans lequel le bail aura été conclu et les attentes raisonnables des parties. Selon le résultat, le locataire sera tenu de payer un loyer proportionnel au niveau déterminé de jouissance.
Établir l’étendue de cette jouissance est un exercice délicat qui doit se faire au cas par cas et dans lequel nous pourrions certainement vous accompagner au besoin.
Pierre-Olivier Bouvier-Leblanc, avocat
[1] 2020 QCCS 2251
[2] 2023 QCCQ 249.