Les droits et obligations des cocontractants ne se limitent pas nécessairement à ce qui est écrit dans un contrat. Aussi surprenant que cela puisse être, le comportement des parties peut faire naître de nouveaux droits et obligations ou encore modifier ceux qui sont prévus au contrat. Une décision récente de la Cour supérieure[1] en donne un bon exemple.
Dans cette affaire, la Cour devait déterminer si une terrasse faisait partie des lieux loués par Restaurant La Station Châteauguay inc. La particularité de l’affaire est que cet espace n’était aucunement mentionné dans le bail en cause. Dans ce bail, conclu en fin 2019 entre le locataire et l’ancien propriétaire de l’immeuble, la description des lieux loués se limitait en effet au local situé à l’intérieur du centre- d’achat qui l’abritait.
En 2021, le nouveau propriétaire du centre d’achat souhaitait y ouvrir un nouveau commerce, ce qui rendait nécessaire l’ajout d’espaces de stationnement. Il a alors fait part au locataire de son intention de convertir ladite terrasse en stationnement, au motif qu’il occuperait cet espace sans droit. Au soutien de ses prétentions, le bailleur faisait notamment valoir que le bail contenait la clause suivante, dite d’« intégralité »:
« La présente convention constitue l’intégralité et la totalité de la convention et aucun autre document ou entente verbale antérieure ou concomitante n’est admis. »
Le locataire, qui avait ouvert les portes de son restaurant en 2020, souhaite conserver la jouissance de cette terrasse, au motif qu’elle serait accessoire au bail, et saisit les tribunaux afin de faire reconnaitre ce droit.
Pour rendre son jugement, la Cour retient plusieurs éléments. Tout d’abord, la terrasse était utilisée sans interruption par les locataires précédents depuis 2004, sans qu’aucun des baux antérieurs n’en fasse état. La terrasse avait été aménagée de manière permanente aux frais d’un locataire précédent, était raccordé aux services (eau, égout, éclairage, gaz et chauffage) et était accessible à partir du restaurant à l’aide de deux grandes portes de garage installées à cette fin. Les représentants de l’ancien propriétaire, avec qui le bail en cause a été conclu, témoignent d’ailleurs qu’en raison de cette configuration et de l’utilisation passée, cette terrasse est implicitement prévue au bail. Enfin, le nouveau propriétaire avait exploité un commerce à proximité pendant de nombreuses années et était au fait de la présence de la terrasse lorsqu’il a acheté le centre commercial.
La Cour rappelle que « des parties à un bail, par leur comportement, peuvent se trouver à confirmer d’année en année, un droit non inclus dans le bail pour l’usage d’un espace
additionnel. » La notion d’accessoire est d’ailleurs prévue explicitement au Code civil du Québec à son article 1434.
Pour ces motifs, la Cour conclut que l’utilisation de la terrasse est accessoire à l’exploitation du restaurant opéré par le locataire. Ne relevant pas d’une simple tolérance, comme le prétendait le bailleur, ce droit à l’utilisation de la terrasse lui est opposable et la cour lui ordonne donc de ne pas entraver sa jouissance par le locataire.
Ainsi, nous retenons de cette décision l’importance de mener des vérifications diligentes sérieuses dans le cadre de l’acquisition d’un immeuble, notamment en ce qui concerne l’utilisation des espaces qui est faite par les locataires. À cette étape, si la situation factuelle constatée ne semble pas être reflétée dans les contrats en vigueur, il vaut certainement mieux de prendre un pas de recul pour clarifier en amont, au besoin avec l’aide de vos avocats, tout imbroglio et ainsi éviter des situations comme celle relatée ci-devant.
Julien Poirier-Falardeau, associé
Pierre-Olivier Bouvier-Leblanc, avocat
[1] Restaurant La Station Châteauguay inc. c. 9435-8520 Québec inc., 2022 QCCS 3427