En certaines circonstances, lorsqu’un locataire fait défaut de respecter son bail commercial, un bailleur peut résilier le bail et expulser son locataire sans s’adresser aux tribunaux. C’est le cas lorsqu’une disposition du bail accorde ce droit au bailleur. Mais qu’advient-il lorsque le défaut du locataire est le résultat d’un manquement du bailleur? Dans un arrêt récent, la Cour d’appel s’est penchée sur la question.[1]
Dans cette affaire, la rentabilité du restaurant exploité par le locataire n’était pas au rendez-vous. En effet, ce dernier peinait à payer son loyer à temps et avait accumulé des arrérages d’environ 80 000$.
Le 23 décembre 2015, peut-être inspiré par l’esprit des Fêtes, le bailleur a convenu avec son locataire d’un amendement au bail. Cet amendement prévoyait une réduction de loyer et le remboursement des arrérages par mensualités, sur une longue période et sans intérêts. En contrepartie, l’amendement conférait au bailleur le droit de résilier le bail en cas de défaut du locataire de payer le loyer et les mensualités convenues.
Le lendemain soir, soit la veille de Noël, la fête bat son plein dans le restaurant. Un tuyau d’alimentation du système de refroidissement de l’immeuble se brise alors, ce qui provoque une inondation majeure dans le restaurant. Les dégâts causés sont si importants que les lieux deviennent impropres aux fins pour lesquelles ils ont été loués. S’ensuit un chassé-croisé de procédures dans lequel les parties se réclament des dommages. Deux enseignements ressortent du jugement.
Tout d’abord, la Cour rappelle une limite importante des clauses de limitation de responsabilité, qui sont fréquemment stipulées au bénéfice du bailleur : elles ne peuvent être invoquées pour s’exonérer d’une faute lourde, c’est-à-dire une faute qui dénote, de la part de son auteur, une insouciance, une imprudence ou une négligence grossière.
En l’espèce, le locataire demandait, entre autres, d’être compensé pour la nourriture perdue en raison du sinistre. Or, le bail prévoyait que le bailleur n’était pas responsable des dommages survenus dans les lieux loués. La juge de première instance a écarté cette clause et a condamné le bailleur, après avoir conclu qu’il avait commis une faute lourde en ne faisant pas entretenir le système de tuyauterie de son immeuble par un plombier, mais plutôt par une firme spécialisée dans les compresseurs, la ventilation, le chauffage et la réfrigération d'immeubles. Selon la juge, une simple inspection visuelle par un plombier aurait permis de déceler la présence de la fuite et de prévenir le sinistre.
Cette conclusion a été maintenue en appel.
En second lieu, la Cour reconnaît que dans les circonstances de l’affaire, la faute lourde du bailleur l’empêchait de résilier le bail de manière extrajudiciaire. Peu après le sinistre, le locataire avait en effet informé le bailleur qu’il ne paierait pas son loyer tant que les lieux demeureraient inutilisables, tel que prévu au bail, et, qu’en plus, il suspendrait pour la même période le remboursement des arrérages. Devant cette position et le refus répété du locataire de payer le loyer et les versements d’arrérages, le bailleur a résilié unilatéralement le bail, expulsé le locataire et fait changer les serrures du local. Lors de l’instance, le bailleur réclamait au locataire les loyers qu’il aurait dû percevoir jusqu’à la fin du terme, alors que le locataire lui réclamait la perte de profits et les autres dommages subis en raison de la résiliation.
La Cour d’appel constate qu’un article spécifique du bail prévoyait que l’obligation de payer le loyer était suspendue par le sinistre. C’est donc à bon droit que le locataire avait refusé de payer le loyer. Ce même article ne suspendait toutefois par l’obligation du locataire de rembourser les arrérages. À ce titre, la Cour retient que ces remboursements devaient être faits à même les revenus d’exploitation du restaurant. La faute lourde du bailleur ayant empêché l’exploitation du restaurant, il était donc impossible pour le locataire de faire les paiements en cause.
Pour ce motif, la Cour conclut que le locataire n’était pas en défaut aux termes du bail. Le bailleur ne pouvait donc invoquer le non-remboursement des arrérages pour résilier le bail, expulser le locataire et changer les serrures des lieux loués. En le faisant malgré tout, la Cour conclut qu’il a abusé de ses droits. Elle maintient donc la condamnation du bailleur prononcé en première instance pour compenser les troubles et inconvénients subis par le locataire.
À notre avis, cette décision relève d’une grande importance sur deux volets :
- Elle rappelle aux bailleurs de faire bien attention lorsqu’ils choisissent l’avenue de la résiliation extrajudiciaire, alors que le vent peut tourner très rapidement s’ils ne montrent pas patte blanche;
- Elle semble élargir davantage la notion de « faute lourde », alors que le bailleur ici faisait malgré tout inspecter son système par une firme spécialisée, ce que la Cour a jugé négligeant.
Le bailleur devra donc dorénavant demeurer prudent dans sa gestion d’immeuble et son choix d’expulser, même s’il l’exécute de bonne foi!
Julien Poirier-Falardeau
Avocat
[1] 9145-0692 Québec inc. c. 9162-8974 Québec inc., 2022 QCCA 933.