L’envoi par le locataire d’un projet de bail au bailleur constitue-t-il automatiquement une offre de louer ? C’est la question à laquelle la Cour supérieure a récemment dû répondre dans l’affaire 2412-8779 Québec inc. c. 9303-4338 Québec inc.[1]
En résumé, le bailleur est contacté en août 2018 par un locataire potentiel. Ce dernier souhaite louer un local aux fins du déploiement de la fibre optique qui améliora les services Internet à Chibougamau. Les paramètres du local requis sont toutefois bien précis : il doit s’agir d’un espace de 20 pieds sur 20 pieds dans un immeuble distinct et avec un toit plat.
Le bailleur, n’ayant pas de local similaire dans son portefeuille, s’engage à en construire un si les parties viennent à une entente.
Le 26 septembre 2018, le locataire envoie un projet de bail non daté et non signé au bailleur, et dont la date d’entrée en vigueur n’est pas spécifiée. Malgré ces quelques détails, le bailleur commence les travaux de construction quelques semaines plus tard.
Le 2 avril 2019, le bailleur apprend, par communiqué de presse, que le locataire n’a pas été retenu comme bénéficiaire de subventions pour permettre le déploiement de la fibre optique. C’est plutôt son compétiteur direct qui a été sélectionné. Cette nouvelle vient essentiellement mettre la hache dans le projet du locataire, qui n’a désormais que faire du local et qui refuse d’en prendre possession.
Vu ce désistement, le bailleur entame un recours judiciaire. Il avance que le bail reçu du locataire en septembre 2018 constituait une offre puisqu’il comportait tous les éléments essentiels du contrat envisagé. Par sa décision de procéder à la construction, il est évident, selon lui, que cette offre a été acceptée telle quelle et que sa signature n’était pas nécessaire.
Dans ces circonstances, la décision du locataire de s’en désister constitue une résiliation unilatérale, permettant au bailleur de réclamer le loyer pour les 25 prochaines années. À titre subsidiaire, il réclame au locataire un montant 207 953 $ pour dommages-intérêts afin decompenser les coûts de construction du local, construit inutilement.
Malheureusement pour le bailleur, le tribunal considèrera que ce dernier n’a pas été en mesure de démontrer qu’une entente non équivoque était intervenue entre les parties. Le projet de bail n’étant ni signé ni daté e, ne réglant pas certains éléments nécessaires, la Cour en conclut qu’il ne lie pas les parties.
En fait, la Cour retient plutôt que le bailleur n’a pas été prudent en commençant la construction tout en sachant qu’un seul et unique projet de déploiement de fibre allait se réaliser à Chibougamau et que le locataire faisait face à un compétiteur bien implanté dans le milieu. Le bailleur a pris un risque en commençant les travaux trop rapidement, alors qu’il ignorait si le projet allait réellement se matérialiser.
Par ailleurs, si ces arguments devaient être jugés insuffisants, la Cour retient également que le bailleur a finalement construit un local de 800 pieds carrés (au lieu de 400), attaché à une bâtisse existante (au lieu d’être distinct) et ayant un toit en pente (au lieu de plat).
Bref, tout l’inverse de ce qui avait initialement été demandé par le locataire. Ainsi, c’est d’un ton implacable que la Cour rejette toute prétention du bailleur.
Retenons de cette décision qu’un projet de bail pourra être considéré comme une offre de location formelle uniquement s’il contient tous les éléments essentiels du contrat envisagé, ce qui n’était pas le cas en l’espèce. Par ailleurs, une bonne pratique afin d’éviter cette situation sera d’ajouter une mention « Projet » ou « Brouillon » en filigrane sur le document échangé, ou encore d’indiquer que celui-ci est transmis « pour fins de négociation et de discussion uniquement ».
François Nantel
Avocat associé
Kenza Chaoui
Étudiante en droit
[1]2022 QCCS 1406.