Depuis plusieurs années, un certain débat fait rage sur la capacité des locateurs de résilier de façon extrajudiciaire un bail, c’est-à-dire par l’envoi d’un avis de défaut suivi du changement des serrures des lieux loués.
Sans reprendre l’historique de la jurisprudence ayant traité de la question depuis la décision de principe Place Fleur de Lys c. Tag’s kiosque inc.[1], le courant majoritaire se dégageant chez les praticiens voulait que cette avenue soit effectivement possible, pour autant que :
- une clause prévoit la résiliation extrajudiciaire du bail en cas de défaut;
- le défaut allégué ne soit pas de peu d’importance;
- certaines dispositions du Code civil soient spécifiquement écartées; et
- le bailleur n’ait pas encore demandé la résiliation du bail judiciairement.
Cette position a récemment été repris par la Cour d’appel dans la décision 9745866 Canada inc. c. 9518002 Canada inc.[2], par laquelle la résiliation extrajudiciaire d’un bail a été considérée somme toute valide.
Les faits
En résumé, ce litige oppose un bailleur et un locataire ayant convenu d’un bail assorti de plusieurs options de renouvellement, pouvant mener à une occupation des lieux pendant 40 ans.
Malgré leur entente et plusieurs rappels de la part du bailleur, le locataire néglige de démarrer l’exploitation de son entreprise pendant plus d’un an suivant sa prise de possession des lieux loués.
De guerre lasse, le bailleur envoie finalement un avis de défaut, mettant formellement la locataire en demeure d’exploiter son commerce dans un délai de dix jours, sous peine de résiliation extrajudiciaire du bail.
Un mois s’écoule et rien ne change. Le bailleur met donc à exécution sa menace et remplace les serrures.
Le locataire intente alors des procédures contre le bailleur en dommages, et obtient, en cours d’instance, une ordonnance de sauvegarde pour empêcher le bailleur de relouer le local ou de le subdiviser, en contrepartie de son engagement de déposer le loyer exigible en fidéicommis.
La décision
Suivant son analyse, la Cour d’appel confirme que la résiliation extrajudiciaire est dûment survenue le 20 août 2018, à l’expiration de l’avis de défaut conforme. Elle permet donc au bailleur de conserver les améliorations locatives de la locataire et le loyer payé jusqu’à cette date, conformément aux dispositions du bail.
Par contre, de façon surprenante, le tribunal rejettera la réclamation du bailleur pour obtenir les loyers versés par la locataire en fidéicommis pendant l’instance.
En effet, bien qu’il soit logique que la locataire n’ait pas à payer de loyer au-delà de la date de résiliation extrajudiciaire, force est de constater que l’ordonnance de sauvegarde a eu pour conséquence d’empêcher le bailleur d’avoir la jouissance paisible de son immeuble, de minimiser ses dommages ou de relouer le local à un tiers pendant près de trois ans.
En fait, le tribunal choisi manifestement de faire supporter les inconvénients découlant de la résiliation extrajudiciaire contestée au bailleur, bien que cette situation résulte du défaut répété du locataire, le tout en ces termes :
« [78] L’intimée a choisi de procéder par voie de résiliation extrajudiciaire. En procédant de la sorte, elle s’exposait à ce que la résiliation soit contestée.
[79] Elle a également choisi de procéder à l’expulsion de son locataire sans ordonnance judiciaire.
[80] Au lieu de conserver le statu quo pendant l’instance, elle envisage de modifier les lieux loués pour les louer à un tiers. Ce projet faisait échec aux conclusions recherchées par l’appelante dans son recours en contestation. En agissant de la sorte, l’intimée a contraint l’appelante à obtenir une ordonnance de sauvegarde pour protéger ses droits. Cette ordonnance a été accueillie et le juge a ordonné le paiement du loyer en fidéicommis pendant l’instance.
[81] Le bail étant résilié depuis le mois d’août, rien ne justifie que l’intimée conserve les loyers après cette date alors qu’elle a privé l’appelante de la jouissance des lieux loués en l’expulsant de son propre chef. »
Cette avenue peut paraitre surprenante, surtout à la lumière des autres obligations du bailleur lorsqu’une résiliation survient et est confirmée subséquemment comme valide. En effet, comment réconcilier, d’une part, l’obligation du bailleur à ne pas changer le statut quo pendant l’instance (tel que mentionné au paragraphe 80 du jugement) avec, d’autre part, son obligation de mitiger ses dommages et tenter de relouer son local[3]?
Sans se prononcer expressément, la Cour d’appel apporte certaines pistes de réponse à ces questions. Plus particulièrement, elle souligne que le bail contenait pas de clause permettant une expulsion unilatérale et manu militari du locataire, mais simplement un droit de résiliation.
Cette nuance est importante puisque, dans ces circonstances, le bailleur devait supporter les risques d’une expulsion sans ordonnance de cour, d’où la décision plutôt défavorable à son endroit.
Espérons qu’un jugement subséquent nous permettra d’y voir plus clair en se prononçant spécifiquement sur cette nuance.
Dans l’intervalle, retenons que le bailleur doit s’assurer de bien connaître les avantages et inconvénients pouvant découler d’une résiliation extrajudiciaire avant de l’exercer. Il s’agit d’une décision exceptionnelle et qui comporte, malgré tout, certains risques.
François Nantel
Avocat associé
[2] 2021 QCCA 1530
[3] Voir notamment 9051-5909 Québec inc. c. Entreprises MTY Tiki Ming inc., 2019 QCCS 166