Il est bien établi que celui qui s’engage dans des négociations pour la conclusion d’un bail est tenu au respect d’obligations de degré variable. Dépendamment des termes convenus et du degré d’avancement de ces négociations, elles peuvent aller de la simple obligation de négocier de bonne foi jusqu’à celle de conclure le bail projeté. Devant de telles obligations et leurs implications légales, il est légitime de se questionner sur la possibilité de mettre fin à des négociations stériles. Bien qu’il soit généralement bien avisé d’agir avec circonspection avant de rompre des négociations, la Cour supérieure rappelle, dans un jugement récent[1], qu’une partie peut, en certaines circonstances, mettre fin à de telles négociations sans engager sa responsabilité.
L’affaire oppose 6300, Avenue du Parc inc. (« 6300 ») à 9288-4212 Québec inc. (« Cohaus »). Cette dernière, alors une jeune pousse sans actif, souhaitait exploiter des installations de coworking dans l’immeuble de 6300. L’offre de location (l’« Offre »), conclue en mai 2014, prévoyait notamment que Cohaus remettrait avant la fin du mois de juin une lettre de crédit de 150 000$ devant garantir ses obligations. Une fois cette lettre de crédit remise à 6300, cette dernière devait effectuer certains travaux dans les locaux, après quoi Cohaus bénéficiait d’une période d’aménagement de 3 mois avant le début du bail, prévu le 1er octobre 2014. Quoique l’Offre précisait être contraignante (« binding ») pour les parties, il était également stipulé qu’un bail devait être conclu avant la prise de possession des locaux.
Bien qu’un projet de bail conforme à l’offre ait été soumis à Cohaus le 6 juin 2014, celui-ci ne sera pas signé par Cohaus, laquelle ne remettra pas non plus de lettre de crédit. Cohaus justifiait ces omissions au motif qu’elle n’avait pas été en mesure de prendre possession des locaux, notamment parce que 6300 n’avait pas complété ses travaux, ce qui aurait retardé l’avancement du dossier. Assimilant ces faits à des défauts de 6300, Cohaus exigea des modifications à l’Offre, notamment par le report du début de la période d’aménagement, un congé de loyer de deux mois et le droit de déposer dans un compte en fidéicommis d’avocat un montant de 150 000$ en lieu et place de l’émission d’une lettre de crédit.
6300 accepte de modifier certaines dispositions de l’Offre mais maintient son exigence que Cohaus lui fournisse le bail signé et la lettre de crédit. Face au refus répété de Cohaus, 6300 rompt finalement les négociations. Cohaus entreprend alors des procédures, réclamant plus de 5 millions de dollars en perte de profits et en dommages, au motif que 6300 aurait rompu les négociations de manière fautive.
La juge, qui rejette la réclamation de Cohaus, conclut plutôt que cette résiliation était justifiée par le propre défaut de Cohaus de respecter les termes de l’Offre, soit de remettre un bail signé et une lettre de crédit à 6300. La juge rappelle ainsi la règle voulant que lorsqu’une partie est en demeure d’exécuter son obligation et que son défaut persiste après l’expiration du délai fixé, l’autre partie est en droit de résilier son contrat sans qu’il soit pour cela nécessaire d’entreprendre une action judiciaire.
En l’espèce, l’Offre rendait la prise de possession des locaux conditionnelle à la signature d’un bail : loin de constituer une simple formalité, la signature du bail était une obligation dont le non‑respect pouvait justifier la résiliation extrajudiciaire de l’Offre par 6300. Il en va de même pour la remise de la lettre de crédit, condition d’autant plus essentielle pour 6300 que Cohaus était alors une « coquille vide [n’ayant] aucun actif ni historique de profitabilité ». Enfin, le tribunal estime qu’en exigeant comme elle l’a fait des modifications à l’Offre, Cohaus a elle-même rendu l’Offre caduque. 6300 n’a donc commis aucune faute en confirmant la résiliation de l’Offre.
Ainsi, bien que la bonne foi doive toujours gouverner la conduite des parties lors de négociations, cette obligation ne va pas jusqu’à devoir que son vis-à-vis contrevienne de manière répétée à ses engagements.
Julien Poirier-Falardeau, avocat
[1] 9288-4212 Québec inc. c. 6300, Avenue du Parc inc., 2021 QCCS 1328 (CanLII). En date du 5 mai 2021, aucun avis d’appel n’avait été déposé.