2021 semble débuter aussi mal que 2020 s’est terminée.
Si cette phrase est vraie pour l’ensemble du peuple québécois (qui est de nouveau plongé dans un confinement généralisé), elle l’est tout autant (sinon plus) pour certains locataires tentant tant bien que mal de minimiser leurs pertes.
En effet, quelques semaines seulement suivant le jugement médiatisé dans l’affaire Baie d’Hudson[1] (qui, on se souvient, avait ordonné à cette dernière de payer son loyer entier mensuellement), la Cour supérieure, par sa décision Groupe Dynamite inc. c. Deloitte Restructuring Inc., est venue accentuer légèrement la pression exercée sur les locataires commerciaux majeurs en restructuration[2].
Comme plusieurs le savent, Groupe Dynamite inc. (connue principalement pour ses bannières Dynamite et Garage) s’est placée en septembre 2020 à l’abri de ses créanciers en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (« LACC »).
Rappelons que cette loi fédérale met à la disposition d’une entreprise qui a des dettes supérieures à 5 millions de dollars un éventail de mesures visant à favoriser sa restructuration. Notamment, elle permet la suspension de toute procédure intentée par des créanciers contre la débitrice de même que le droit, pour cette dernière, de résilier tout contrat auquel elle est partie, incluant tout bail commercial[3]. En contrepartie, l’article 11.01a) de la LACC prévoit que la débitrice demeure tenue, en tous les cas, d’acquitter sans délai les obligations relatives à l’ « utilisation de biens loués » lorsque cette utilisation se poursuit après le recours à la LACC.[4]
Dans le cadre de sa restructuration sous la LACC, Groupe Dynamite inc. s’est adressée à la cour pour demander d’être relevée de son obligation de payer son loyer pour certains établissements situés en Ontario et au Manitoba. Selon elle, les fermetures des commerces non essentiels imposés dans ces deux provinces depuis novembre 2020 empêchaient justement une telle « utilisation » des lieux loués.
À cet effet, il était notamment mis en preuve que les établissements visés ne servaient pas à traiter les commandes en ligne de ses clients, alors que la cueillette en magasin des produits achetés en ligne, toujours possible dans les établissements visés, ne représentait que 0,5 % des ventes de la société.
Incidemment, elle devait donc être relevée de son obligation de payer le loyer jusqu’à ce que ces mesures sanitaires soient levées et que l’accès du public à ses établissements soit rétabli.
Or, le tribunal a refusé de faire droit à cet argument. Bien qu’il reconnaisse que Groupe Dynamite inc. n’exploite certainement pas ces lieux loués à leur plein potentiel, il souligne sa décision de ne pas résilier les baux de ces locaux, comme l’autorisait la LACC, et donc d’en conserver la possession. Le tribunal note que l’emplacement stratégique des lieux loués et leurs apports déterminants dans la possible relance de la bannière n’étaient pas étrangers à cette décision. Il décide donc que cette simple possession des lieux loués, qui s’exerce sans que le locataire en ait la pleine jouissance, est suffisante pour déclencher son obligation de payer son loyer conformément aux baux.
En terminant, il est intéressant de noter que le juge ayant rendu cette décision, l’honorable Peter Kalichman, est le même qui a rendu l’une des plus importantes décisions en 2020 en matière de louage commercial dans un contexte de pandémie, à savoir Hengyun International Investment Commerce Inc. c. 9368-7614 Québec inc.[5].
Dans ce jugement, le juge Kalichman avait fait droit à la demande de réduction complète du loyer de mars à juin 2020 pour un locataire exploitant un centre d’entrainement au motif que le confinement sanitaire imposé par le gouvernement du Québec l’avait entièrement privé de sa jouissance paisible des lieux loués.
Il y a donc fort à parier que certains plaideurs invoqueront de façon imaginative la décision Hengyun International lorsqu’en faveur de locataires ou Groupe Dynamite inc. et Baie d’Hudson lorsqu’en faveur des bailleurs, tentant d’en tirer des inférences.
Les tribunaux seront manifestement appelés à répondre à de nombreuses questions à ce sujet en cette seconde année pandémique.
À suivre…
François Nantel
Avocat
Julien Poirier-Falardeau
Avocat
[1] Voir Affaire Baie d’Hudson – BOMA Info, 23 novembre 2020
[2] 2021 QCCS 3
[3] 32(1) LACC
[4] 11.01a)
[5] 2020 QCCS 2251