Lorsqu’un jugement portant sur un sujet d’intérêt public est médiatisé, on a parfois l’impression que sa conclusion devient incontournable; une « bible » absolue. Or, ce n’est pas nécessairement le cas.
C’est un peu l’impression qui se dégage de la « médiatisation » du déjà-désormais fameux jugement rendu le 16 juillet dernier par le juge Peter Kalichman de la Cour supérieure du Québec dans l’affaire Hengyun, qui affirme essentiellement que parce que le locataire, en raison du Décret gouvernemental adopté dans le cadre de la pandémie causée par la COVID-19, ne pouvait exploiter ses activités dans les lieux loués pour les fins prévues au bail, il n’avait pas à payer le loyer, et ce, même en présence d’une clause de force majeure au bail obligeant le locataire à respecter ses obligations financières.
Avant de conclure à l’impact absolu d’un jugement, il faut considérer la règle du « stare decisis », soit le principe du jugement qui constitue un « précédent ».
Ainsi, dans le cas des jugements de la Cour suprême du Canada, la règle du précédent s’applique (sous réserve de certaines restrictions) au ratio decidendi du jugement, i.e. le motif déterminant de celui-ci (et non aux commentaires accessoires, appelés obiter dictum). Le principe ainsi établi par le ratio decidendi devient alors quasi absolu et doit par la suite être suivi.
À la Cour d'appel du Québec, une jurisprudence constante a, en principe, un impact semblable à celui du stare decisis de la Cour suprême (même si la Cour du Québec elle-même ne se sent pas liée de façon absolue par ses décisions antérieures).
Quant aux décisions rendues par la Cour supérieure ou la Cour du Québec, une décision isolée n'a pas de caractère décisif. Il s'agit de l’avis d’un(e) juge, d'un exemple que l'on peut citer, et dont l'intérêt peut varier selon divers facteurs (dont la réputation du juge qui l’a rédigé), qu'un autre juge peut, ou non, entériner subséquemment, mais qui n'a pas force de loi.
Le jugement dans l’affaire Hengyun a été rendu par un juge de la Cour supérieure et donc, avec égards et respect pour celui-ci, il ne s’agit pas d’une « bible » absolue. Il s’agit d’un jugement étoffé, rendu par un juge qui est de toute évidence compétent, mais avec lequel un autre juge pourrait ne pas être d’accord; ou même, qui pourrait être contredit par un jugement de la Cour d’appel, lequel aurait alors un impact plus important.
D’autre part, il faut aussi être très prudent face au contexte et à la portée de certains jugements. Par exemple, le jugement dans l’affaire Hengyun a été cité dans une autre cause, impliquant cette fois Pontegadea Canada inc. et GAP (Canada) inc. Ce jugement a été rendu dans le cadre d’une demande pour l'émission d'une ordonnance de sauvegarde présentée par Pontegadea à la Cour supérieure; Pontegadeau alléguait l'urgence et le préjudice irréparable.
Or, comme le rappelle la juge Lucas dans cette dernière affaire, une ordonnance de sauvegarde est une mesure conservatoire exceptionnelle et urgente, émise pour une durée limitée et n’est pas le moyen habituel pour obtenir le paiement d'une créance échue. C’est donc en fonction de ces critères (et de certains autres faits) que cette mesure exceptionnelle a été refusée, et non simplement en fonction des principes énoncés dans l’affaire Hengyun, dont l’impact, dans cette affaire, a été passablement limité.
René Gauthier
Associate Lawyer