À l’ère des médias sociaux, on croirait jurer que le gros bon sens et le civisme cèdent de plus en plus la place au « paraitre » et au « spectaculaire ».
Que ce soit en se servant des infrastructures comme terrain de jeu urbain ou encore en se suspendant au bout d’une poutre, les pieds dans le vide, afin de prendre une photo époustouflante, les adeptes des sensations fortes ne reculent devant rien pour se donner en spectacle : quelques recherches sur Youtube ou Google vous convaincront certainement qu’il s’agit d’un phénomène bien réel.
Or, cette insouciance (ou ce désir de monnayer des images sur une plateforme numérique) vient généralement avec un coût, tantôt en bris matériel et même, parfois, en dommages corporels.
Les immeubles étant généralement de bons endroits pour ces casse-cous afin d’avoir accès à des panoramas hors du commun, les propriétaires et gestionnaires doivent désormais redoubler de vigilance pour éviter de se retrouver pris avec les conséquences de ces actes.
En effet, vient rapidement la question de savoir : quelle est la responsabilité du propriétaire ou du gestionnaire d’un immeuble face à ce phénomène?
De façon générale, le Code civil du Québec prévoit qu’une démonstration en trois étapes doit être effectuée afin de retenir la responsabilité extracontractuelle d’une personne[1].
La « victime » devra essentiellement prouver :
- que la partie adverse (propriétaire ou gestionnaire) a commis une faute;
- que la victime a subi un dommage;
- que le dommage subi résulte de la faute de la partie adverse;
Or, il peut survenir des situations où la faute du propriétaire ou de son gestionnaire ne proviendra pas d’un geste positif, mais simplement d’une absence de prévention suffisante.
La faute, selon le Code civil, est le fait de ne pas se comporter comme le ferait une personne prudente et diligente (autrefois, le « bon père de famille ») dans une situation donnée.
L’un des cas de faute est la notion de « piège », tel que défini par la Cour Suprême du Canada dans la décision Rubis c. Gray Rocks Inn Ltd. (Rubis)[2], qui doit nécessairement impliquer trois critères, à savoir :
- l’existence d’une situation intrinsèquement dangereuse;
- un danger caché plutôt qu’apparent;
- une connotation d’anormalité et de surprise.
Ainsi, le fait pour un propriétaire ou gestionnaire de ne pas avoir suffisamment dénoncé l’existence d’une situation dangereuse et surprenante pourrait entraîner sa responsabilité civile.
Évidemment, on pourrait présumer que ces théories de la responsabilité et du piège ne trouvent pas application face aux énergumènes qui s’introduisent sans droit (trespasser) dans un endroit non autorisé et dangereux (toiture, salle mécanique, etc.).
Malheureusement, c’est loin d’être aussi simple.
Au contraire, la Cour d’appel, dans un jugement relativement récent[3], a eu l’opportunité de rappeler les enseignements de la Cour Suprême du Canada[4], à savoir que le concept d’intrus (ou trespasser) n’existe pas en droit civil québécois, et que cela n’influence pas les critères de responsabilité du propriétaire.
Cela dit, le tribunal pourrait conclure à un partage des responsabilités (tel que prévu à l’article 1478 (2) C.c.Q.), lorsque la victime a fait preuve de témérité et d’insouciance et a contribué à la survenance du dommage :
« 1478. Lorsque le préjudice est causé par plusieurs personnes, la responsabilité se partage entre elles en proportion de la gravité de leur faute respective.
La faute de la victime, commune dans ses effets avec celle de l’auteur, entraîne également un tel partage. »
Partant, au-delà de la simple sensibilité et moralité qu’auront le propriétaire et son gestionnaire de veiller à la sécurité d’autrui dans leurs locaux, ces derniers auront tout intérêt de s’assurer d’en restreindre l’accès et d’indiquer clairement tous les endroits potentiellement dangereux aux tiers (qu’ils y soient invités ou non) pour éviter d’encourir leur responsabilité.
François Nantel
Avocat
Cain Lamarre
[1] Art. 1457 C.c.Q.
[2] 1982 CanLII 17 (CSC), [1982] 1 R.C.S. 452, 468 [Rubis].
[3] Paquet c. Longpré, 2009 QCCA 1378 (CanLII)
[4] Voir note 2